La vierge de Précy-Notre-Dame
Irrésistiblement attirés vers
moi, vous vous immobilisez au centre de l'église et vous fixez cette
fine pierre blanche au dessus de l'autel, rendue presque immatérielle
par les restaurations qui m'ont dépouillée des polychromies et me font
ressembler à un marbre fin. Je suis Marie, pleine de grâce. Des
vierges mères vous en avez vues en Champagne, en particulier de ces
jeunes filles du " beau 16e siècle ", si jeune, si élégante
et parée… les guerres de religion sont désormais passées, le doux
air du sud a envahi insensiblement la Champagne par le truchement
d'artistes italiens venus travailler sur chantier royal de
Fontainebleau. Je suis si douce, si merveilleusement intemporelle que ce
ne peut être qu'un sculpteur parfaitement maître de son art qui m'a
représentée, peut-être Dominique le Florentin qui fonda famille à
Troyes. Il a atteint ici un seuil. Il a bénéficié de la réflexion
d'un siècle de sculpteurs champenois confrontés à la figuration de la
sainte le plus proche du cœur des chrétiens ; il y a ajouté cette
aisance et cette concentration sur l'essentiel qui caractérisent l'art
italien. Pour me représenter comme femme, éternellement jeune, belle,
intacte, il n'a pas misé sur l'accessoire, il a visé la grâce mais en
même temps je suis bien la mère du sauveur de l'humanité, je porte
sur mes bras le salut du monde… Alors, vois comme il m'a voulu
attentive, l'oreille à l'écoute, visiteur, des prières qui se sont
élevée, ici et ailleurs depuis tant de siècles !
M. H. 09-10-1961